Le cas Ikea : Un regard critique sur le modèle économique
La récente diffusion sur Arte « Ikea, le seigneur des forêts » le 27-2-2024, a mis en lumière les pratiques du plus gros consommateur de bois au monde et les enjeux associés au commerce de meubles à grande échelle, mettant en évidence l’exploitation des forêts, tant primaires que de plantation, ainsi que les impacts environnementaux et sociaux qui en découlent. Le fondateur d’Ikea a été pionnier dans le développement de l’industrie du mobilier bon marché, symbolisée par des produits destinés à une obsolescence rapide, tant par leur qualité limitée que par les incessantes nouveautés qui alimentent une culture de consommation éphémère. Ikea a réussi le tour de force de s’implanter dans un grand nombre de pays. Cette tendance a progressivement remplacé les traditions locales de fabrication de meubles, faisant place à une standardisation mondiale représentée par les grandes enseignes de meubles à bas prix telles qu’Ikea.
Le concept du « Fast Furniture », analogue à la « Fast Fashion » pour l’habillement, illustre cette course à la consommation rapide et à la production à bas coût, entraînant une exploitation intensive des ressources naturelles et des populations locales, au détriment de l’environnement : coupes rases, maltraitances des cours d’eaux, des reliefs, des pentes, de la biodiversité. Les conséquences des coupes rases se manifestent par la dénudation complète de vastes pans de montagnes, la destruction totale des forêts, et la disparition de l’habitat naturel pour les oiseaux et les animaux. Cette situation entraîne une augmentation de l’érosion des sols, qui se retrouvent désormais exposés sans aucune protection. Ikea met largement en avant auprès de sa clientèle, les valeurs environnementales. Malheureusement, l’émission souligne les lacunes dans la certification et la gestion durable des ressources forestières, remettant en question l’éthique de ces pratiques industrielles.
Il est à la fois attristant et révoltant de constater que ces industriels, dépourvus de conscience environnementale, exploitent les pays souvent naïfs et démunis. Ces pratiques sont tolérées par les autorités forestières locales qui semblent agir sans prendre pleinement conscience de l’importance de préserver les ressources naturelles. En conséquence, des méthodes destructrices telles que les coupes rases et les atteintes aux cours d’eau, aux reliefs, aux pentes et à la biodiversité sont autorisées, aggravant ainsi les dommages environnementaux.
L’évolution du marché du meuble en France
En tant qu’ébéniste, j’ai observé l’arrivée d’Ikea sur le marché dès les années 80, ainsi que l’engouement pour ses produits à bas prix, notamment en pin massif à l’époque. Ce phénomène, initialement perçu comme une tendance éphémère, a finalement conduit à l’essor du « Fast Furniture », reléguant les ateliers et artisans ébénistes français au second plan.
La qualité des meubles en panneaux de particules chez Ikea
Ikea et les entreprises similaires privilégient les matériaux peu coûteux tels que les panneaux de particules, de fibres de bois et le pin massif pour leurs meubles. Le pin massif est utilisé en sections fines pour certaines structures et piètements. Les panneaux sont conçus à partir de particules ou de fibres de bois collées et compressées. Ils sont recouverts d’une feuille de papier décorative qui subit un traitement de résine et de durcissement (mélamine). Le revêtement extérieur est donc coloré ou avec un motif. La surface de l’ensemble est lisse et a l’avantage d’être nettoyé facilement (idéal pour les tables et les plans de travail). Leur durabilité est limitée car la surface mélaminée s’écale facilement et ne peut pas être réparée, d’où un vieillissement inéluctable.
Les panneaux de bois, quant à eux, supportent un assemblage léger fait de fixations métalliques. Le point faible de ces panneaux est d’être cassants (angles, trous de fixation) et ne peuvent pas être réparés. C’est pourquoi, il est courant d’entendre qu’il n’est pas possible de déménager un meuble de type Ikéa au risque qu’il se casse ou de ne pas pouvoir le remonter. C’est le comble du « pas cher, pas solide », cette conception légère qui favorise le remplacement fréquent des meubles plutôt que leur réparation, contribuant ainsi à une culture du jetable.
Les avantages du mobilier en bois massif
Historiquement, les meubles et les tables en France étaient fabriqués par des ébénistes avec du bois massif, offrant une durabilité et une possibilité de réparation bien supérieures aux meubles en panneaux de particules. Les assemblages sont taillés dans le bois, collés, voire chevillés ou vissés, selon les standards de la profession à chaque époque. Le bois massif est résistant aux coups et même si le bois s’enfonce un peu, il est possible de poncer ou de réparer. Le meuble en bois massif se rénove aussi très bien. Si les aspirations décoratives ont changé, rien n’empêche de décaper le bois et de lui appliquer une autre finition. En intérieur, les meubles ne s’usent pas vraiment et peuvent être utilisés ensuite par nos enfants et nos petits-enfants, voire plus. Ces meubles peuvent traverser les générations avec un entretien adéquat, offrant une alternative durable et intemporelle aux produits jetables.
Envisager l’avenir : vers une consommation responsable
Avec une population mondiale dépassant les 8 milliards, la gestion responsable des ressources devient impérative. Il est temps de réévaluer nos choix de consommation et de privilégier des meubles bien conçus, durables et transmissibles aux générations futures.
La ressource en bois étant limitée, il faut bien faire des choix et reconnaitre que nos ancêtres géraient au mieux, sans le savoir, cette ressource : consommation locale, fabrication de meuble et de table en bois massif, marché de revente des meubles anciens (antiquaires, brocanteurs), entretien des forêts d’essences recherchées : chêne, noyer, hêtre, pin, sapin, … . Et les ébénistes locaux avaient pour rôle de réparer et rénover les meubles.
En encourageant la production locale, le marché de l’occasion, la rénovation et la préservation des forêts, nous pouvons contribuer à un avenir où la durabilité et la qualité priment sur l’obsolescence programmée.
Source : https://www.arte.tv/fr/